« L’ordonnance marchés publics facilite l’exclusion d’un candidat ayant un historique défavorable »

L’acheteur public ne peut écarter automatiquement une entreprise candidate à un marché public du seul fait de la mauvaise exécution d’un précédent contrat. Yves-René Guillou, avocat, associé-gérant du cabinet Earth Avocats, dresse les possibilités d’exclusion existantes et celles qui résulteront de l’ordonnance relative aux marchés publics du 23 juillet 2015.

Pourquoi est-il compliqué d’exclure une entreprise ?
Yves-René Guillou : Dans le cadre de la passation d’un marché public, la possibilité d’écarter une entreprise n’ayant pas donné satisfaction dans un précédent contrat est limitée en droit interne et en droit européen afin de maximiser la concurrence et éviter les discriminations. De plus, l’entreprise a aussi droit à l’oubli, car elle peut s’être améliorée entretemps.

Que prévoit l’ordonnance marchés publics du 23 juillet, qui sera applicable en 2016 ?
Y.-R. G. : Elle donne la possibilité d’exclure les entreprises ayant un historique défavorable, et ce, dans des conditions claires et transparentes. L’article 48 de l’ordonnance relatif aux interdictions facultatives de soumissionner prévoit plusieurs hypothèses.

– L’acheteur pourra exclure de la procédure de passation le candidat qui, au cours des trois années précédentes, a dû verser des dommages et intérêts (art. 48-1). A mon sens, ces derniers devront être significatifs, c’est-à-dire le résultat d’une défaillance importante. Le caractère de gravité sera soumis à l’appréciation de l’acheteur. Le juge veillera qu’il n’y ait pas disproportion entre la sanction et le comportement de l’entreprise.

– L’acheteur pourra écarter une entreprise sanctionnée par une résiliation pour faute (art. 48-1).

– Il pourra faire de même pour le candidat qui a fait l’objet d’une sanction comparable à la résiliation du fait d’un manquement grave ou persistant à ses obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de concession antérieur ou d’un marché public antérieur (art. 48-1). Là encore, l’acheteur appréciera la nature du comportement dolosif de l’entreprise. L’exercice sera difficile.

– Il sera aussi possible d’exclure des entreprises ayant tenté « d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché public, ou [ayant] fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution » (art. 48-2). Cette disposition permet de lutter contre la « corruption informative » des entreprises qui ont cherché par différents moyens à intervenir dans la fixation du cadre de passation du marché. Pour en faire usage, il faudra des preuves (courriels, etc). Il sera, par conséquent, difficile de caractériser ce cas. C’est donc une exclusion marginale dont l’usage sera limité à la preuve d’un harcèlement ou de la volonté d’influencer l’acheteur.

– Une autre exclusion facultative vise « les personnes qui, par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché public, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens » (art. 48-3). Les cas pouvant être concernés ne sautent pas aux yeux. Selon moi, c’est aussi un cas d’exclusion marginale, dès lors que le pouvoir adjudicateur doit privilégier d’autres remèdes à cette situation.

– Une entreprise qui a été impliquée dans une entente pourra aussi être écartée. Précisons que l’exclusion devrait s’accompagner d’une information auprès de la DGCCRF. L’acheteur devra donc avoir des indices et non une prémonition (art. 48-4).

– Pourront aussi être visées « les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d’intérêts, lorsqu’il ne peut y être remédié par d’autres moyens » (art. 48-5). Il y a une évolution sensible, le texte distingue le caractère direct et indirect du conflit d’intérêt.

Est-il facile de recourir à ces cas d’exclusions ?

Y.-R. G. : L’article 48 prévoit un dispositif assez lourd. Ces dispositions s’éloignent de l’esprit du Code des marchés publics et des directives qui favorise l’accès des marchés à tous. La plupart sont des hypothèses d’exclusion marginales. Il sera difficile de recourir à certaines d’entre elles, car l’acheteur devra être en mesure de prouver les faits reprochés à l’entreprise pour l’exclure de la consultation.

Toutefois, certaines décisions des juges du fond laissent présager la possibilité d’une extension de ces interdictions de soumissionner aux filiales des sociétés concernées par l’exclusion. Elles admettent, en effet, la possibilité pour un pouvoir adjudicateur de rejeter la candidature d’une société appartenant au même groupe que le précédent titulaire du marché résilié pour manquement à ses obligations contractuelles, dès lors que la société candidate fait état, à l’appui de sa candidature, des mêmes moyens techniques et humains que le précédent titulaire (TA Strasbourg, 13 octobre 2011, n° 1104967). Toutefois, ces manquements ne pouvaient constituer l’unique fondement du rejet de la candidature, qu’il s’agisse de la société précédemment titulaire ou, par extension, d’une société du même groupe (CAA Nantes, 25 avril 2014, n° 13NT00204). Il est envisageable que l’application des dispositions relatives aux interdictions facultatives de soumissionner puisse être étendue aux filiales des entreprises concernées. Il s’agit toutefois d’une possibilité qui devra être confirmée par les jurisprudences à intervenir.

Y a-t-il d’autres techniques pour écarter un candidat ?

Y.-R. G. : Pour exclure une société, certains bricolent : ils imposent une méthode de travail dont ne dispose pas le candidat, prévoient des prescriptions auxquelles il ne peut répondre, etc. Ces techniques sont risquées, car elles créent une discrimination artificielle si elles ne sont pas justifiées par l’objet du contrat. Il est plus sûr de développer une ingénierie contractuelle. Par exemple, de plus en plus de collectivités locales renforcent leur dispositif contractuel via les conditions de sélection des entreprises. Celles qui ne peuvent pas assurer une qualité d’exécution s’écarteront d’elles-mêmes. Il faut cependant fixer des exigences liées à l’objet du marché (conditions techniques de mise en oeuvre du chantier, qualité technique de réalisation, objectifs de résultats, fortes pénalités dans le protocole de sanctions, rapidité d’exécution, économies, sécurité, etc.).

Autre possibilité : recourir à la volonté des parties. Rien n’empêche l’acheteur de convoquer l’entreprise défaillante pour lui expliquer les raisons objectives pour lesquelles il ne souhaite pas qu’elle se représente à un nouveau marché, puis qu’ils se mettent d’accord sur une durée d’exclusion. Toutefois, il s’agit d’une pratique dont la mise en œuvre pourrait poser des difficultés juridiques s’agissant des contreparties attendues de la part du pouvoir adjudicateur, ou du caractère unilatéral d’une telle renonciation en l’absence de contrepartie. Elle pose aussi des difficultés opérationnelles s’agissant de la sanction des obligations contractées dans le cadre d’une telle convention.

Interview de Yves-René Guillou, avocat en droit public
Propos recueillis par Nohmana Khali publié le 15/09/15