Des emails issus de la messagerie privée du salarié sont-ils protégés par le secret des correspondances

Les salariés peuvent être amenés à consulter leur emails personnels et privés sur leur lieu de travail. Ces échanges sont en principe protégés par le secret des correspondances. Mais qu’en est-il si certains des emails sont ensuite stockés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel ? L’employeur a t-il le droit de les consulter ou d'en faire usage contre le salarié ?

Dans ce dossier étudié par la cour de cassation, un employeur avait produit en justice des e-mails qui étaient stockés sur le disque dur de l’ordinateur professionnel du salarié.

Or ces emails litigieux provenaient de la messagerie personnelle privée du salarié.

La Cour d’appel avait écarté cette pièce des débats au motif que sa production portait atteinte au secret des correspondances.

 Pour les juges d'appel, bien que provenant de l’ordinateur professionnel du salarié, l’échange de courriels en cause avait été reçu par le salarié sur sa boîte de messagerie personnelle et émanait d’adresses privées non professionnelles. Ils avaient donc un caractère privé.

Pour se défendre, l’employeur partait de la règle selon laquelle les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels (1) ce qui permettait de les considérer comme présumés professionnels, de sorte qu’il était possible d’en prendre connaissance.

La Cour de cassation  dans un arrêt récent du 26 janvier 2016 rejette l'argumentation de l'employeur  et considère que les emails litigieux provenaient de la messagerie personnelle du salarié, si bien que  ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances.

Il s'agit d'une confirmation de la jurisprudence classique de la cour de cassation qui considère que  les mails identifiés comme personnels qui sont envoyés ou reçus par la messagerie professionnel sont également protégés par le secret des correspondances, et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur.

Pour rappel, constitue un motif de licenciement pour  faute grave :

-    le fait, pour un salarié d’être resté connecté, à des fins personnelles, 41 heures en un mois (2)
-   le fait, pour un directeur d'établissement d'avoir, pendant environ 6 mois, utilisé de manière répétée pendant les heures de service les ordinateurs que son employeur a mis à sa disposition pour l'exécution de sa prestation de travail en se connectant pendant les heures de service, au vu et au su du personnel, à des sites pornographiques (3)
-    le fait, pour un salarié de négliger ses fonctions en passant le plus clair de son temps de travail pendant la période analysée (environ 15 jours) à se connecter à des sites à caractère pornographique  (4).
 
Par Hugo Tahar JALAIN
Avocat au Barreau de Bordeaux

 

Cass. soc. 26 janvier 2016, n° 14-15360 FSPB

"LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Malmezat Prat désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la société Espace gestion Bordeaux Gironde de sa reprise d'instance ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 18 février 2014), qu'engagée le 21 février 2006 par la société Espace gestion Bordeaux Gironde en qualité d'assistante administrative et commerciale pour occuper en dernier lieu un poste de responsable d'agence, Mme X... a, par lettre du 17 novembre 2011, pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur et a saisi la juridiction prud'homale ; que le 4 mars 2015, l'employeur a été placé en liquidation judiciaire, la société Malmezat Prat étant désignée liquidateur judiciaire ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'écarter la pièce 22 produite aux débats et de dire que la rupture du contrat de travail lui est imputable, qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer à la salariée diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail alors, selon le moyen, que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel ; que des courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l'ordinateur mis à disposition du salarié par l'employeur ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu'ils sont émis de ou vers la messagerie électronique personnelle du salarié ; qu'en écartant des débats la pièce n° 22 produite par la SARL Espace gestion bordeaux Gironde, motif pris que cette pièce, bien que « prove (nant) de l'ordinateur professionnel mis à la disposition de Mme X... est un échange de courriels en date des 09 et 10 octobre 2011 reçu par Mme X... sur sa boîte de messagerie personnelle et émanant d'adresses privées non professionnelles » de telle sorte que sa production porterait atteinte au secret des correspondances, la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la cour d'appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur et les premier et second moyens du pourvoi incident de la salariée annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ; "
 
Références :
(1) Cass. soc. 21 octobre 2009, n° 07-43877
(2) Cass. soc., 18 mars 2009
(3) Cass. soc., 10 mai 2012
(4) Cass. soc., 23 novembre 2011