"La réforme entraîne un profond bouleversement des pratiques"

La réforme des marchés publics est entrée en vigueur le 1er avril. Pour aider les professionnels à s’approprier les nouvelles règles, l’avocat Nicolas Charrel a commenté, article par article, l’ordonnance du 23 juillet 2015 et le décret du 25 mars 2016 dans un cahier spécial téléchargeable sur lemoniteur.fr.

La réforme procède-t-elle à une véritable révolution ?

Ce n’est pas loin d’être le cas ! La réforme va entraîner un profond bouleversement des pratiques des acheteurs. Ils doivent repenser leurs réflexes : on ne parle plus de code, les articles et la terminologie sont différents. Ils doivent aussi intégrer en un temps record de nouvelles dispositions au niveau de la définition des besoins, de l’identification des procédures, des outils nécessaires (modèles, logiciels). Même chose pour les entreprises, tenues de s’adapter rapidement aux nouvelles possibilités. Globalement, l’on note une volonté de simplifier un certain nombre de règles qui ont longtemps été empreintes d’un formalisme juridique excessif, faisant obstacle à la mise en œuvre d’un achat efficace. Une rationalisation de l’achat public qui sera bénéfique pour tous.

Quelques exemples des nouveautés les plus saillantes ?

La suppression de la signature de l’offre est une mesure emblématique : on passe de la procédure à un véritable processus d’achat, les acteurs vont davantage se concentrer sur le contenu des offres que sur le formalisme. Citons aussi l’officialisation du sourçage, l’évaluation préalable de certains projets, le raccourcissement des délais de procédure, les offres variables en fonction du nombre de lots, l’analyse de la candidature après le choix de l’offre, la régularisation d’une offre irrégulière, ou encore, la modification des contrats impliquant le plafonnement des avenants.

Les mesures de transparence changeront-elles la donne ?

L’introduction de la mise à disposition impérative, sur le profil d’acheteur, des données essentielles de tous les marchés, avec une obligation d’actualisation lors de la modification du contrat, est de nature à permettre le développement du contentieux des tiers. Et ce, en particulier depuis l’arrêt « Tarn-et-Garonne » du 4 avril 2014 par lequel le Conseil d’Etat a ouvert le recours en contestation de la validité du contrat aux tiers justifiant d’un intérêt lésé.

Les PME sortent-elles gagnantes ?

Certaines mesures laisseraient penser que non : offres variables possibles lorsqu’il y a allotissement, facilitation du recours aux contrats globaux… Mais elles tireront leur épingle du jeu grâce à la simplification de la présentation des candidatures (Dume, principe du « dites-le nous une fois », non-communication des documents en cas de mise à disposition de l’acheteur par le biais d’un système électronique) et à la limitation du formalisme.
Va-t-on vers une généralisation de la négociation ?

Il y aura généralisation si l’on rentre à tous les coups dans les cas de recours possibles à la négociation. L’appel d’offres reste le principe pour les pouvoirs adjudicateurs, la négociation l’exception. Mais si l’on regarde la commande publique dans son ensemble – concessions, marchés des entités adjudicatrices, marchés globaux… -, les volumes d’achats concernés par des procédures négociées sont conséquents.
N’y a-t-il pas plus de risques pour les acheteurs ?

Certaines possibilités telles que les offres variables, le sourçage, ou la régularisation des offres, laissent une grande marge d’appréciation aux acheteurs et vont être source de risque accru sur les plans administratif et pénal. Mais avec une démarche claire et transparente, l’acheteur public pourrait bien au final être favorisé par un achat optimisé…

par Nicolas Charrel, avocat associé, cabinet Charrel Associés