La responsabilité du sous-traitant engagée par le maître d'ouvrage au quasi-contractuel !

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 7 décembre 2015, a opéré un revirement de jurisprudence en reconnaissant que la responsabilité quasi-délictuelle du sous-traitant pourra être engagée par le maître d’ouvrage, dans le cas de vices imputables à la conception ou à l’exécution de l’ouvrage. Avant cet arrêt, seul l’entrepreneur principal était responsable de la bonne exécution des travaux, du fait de l’absence de lien contractuel entre maître d’ouvrage et sous-traitant.
Le Conseil d’État permet au maître d’ouvrage d’agir contre un sous-traitant sur le terrain quasi-délictuel en matière d’exécution de travaux publics. Il fait prévaloir dans un premier temps qu’en principe, le maître d’ouvrage doit diriger son action en réparation, pour des vices imputables à l’exécution ou à la conception d’un ouvrage, contre les constructeurs avec lesquels il avait conclu un contrat de louage. Mais il reconnaît que dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait être utilement recherchée, le maître d’ouvrage peut engager, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n’a pas conclu de contrat de louage d’ouvrage, c'est-à-dire les sous-traitants. La possibilité d’engager la responsabilité du sous-traitant sur le terrain quasi-délictuel avait déjà été admise par le Conseil d’État dans un arrêt du 29 avril 1987. Le juge avait précisé ensuite, dans un arrêt du 30 juin 1999, que l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage était nécessaire pour engager la responsabilité de l’exécutant sur le fondement d’un vice de l’ouvrage imputable à sa conception ou à son exécution.

Le juge limite toutefois les cas de recours quasi-délictuel : s’il se place sur le terrain quasi-délictuel, le maître d’ouvrage ne peut pas se fonder sur l’inexécution des actions contractuelles du constructeur ou engager la responsabilité de ce dernier « pour des désordres apparus après la réception de l’ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage et à le rendre impropre à sa destination ».

En l’espèce, une commune avait confié un lot d’un marché de réfection de l’isolation du toit d’un toboggan de la piscine municipale à une société qui en a sous-traité une partie. Des désordres étant intervenus, la commune maîtresse d’ouvrage a engagé la responsabilité du maître d’œuvre et du titulaire du lot sur le fondement classique de la responsabilité décennale des constructeurs. Le juge du fond a rejeté cette demande de responsabilité décennale et a été confirmé en cela par le juge de cassation. La commune a également recherché la responsabilité du sous-traitant sur un fondement quasi-contractuel : sa demande est rejetée car elle était tardive et portait sur des dommages qui n’entraîneraient pas, dans le cadre contractuel, l’engagement de la responsabilité décennale. Comme souvent dans les revirements jurisprudentiels, le défendeur ne pâtit pas de la nouvelle interprétation.

Avant cet arrêt, le fondement quasi-contractuel était déjà mis en œuvre essentiellement pour régler les litiges qui lui survivait à un contrat annulé (v. par exemple, CE, 10 avril 2008, Société Decaux,no 244950). Les maîtres d’ouvrages en font régulièrement les frais, en particulier sur le fondement de l’enrichissement sans cause ; désormais, ils pourront également l’utiliser pour se protéger des chaînes de contrat qui exemptaient certains acteurs économiques de leurs responsabilités.
 
Sources :
•    CE, 7 décembre 2015, Commune de Bihorel, no 380419
•    CE, 10 avril 2008, Société Decaux, no 244950
•    CE, 30 juin 1999, Commune de Voreppe, no 163435
•    CE, 29 avril 1987, SIEPARG, no 69391