Réforme assurance chômage

Un allocataire indemnisé sur deux sera pénalisé par la réforme de l’assurance chômage, avance un rapport de l’Unédic publié cette semaine. 
 
« Une réforme d’une ampleur inédite ». Les nouvelles règles de l’assurance chômage, entièrement à la main du gouvernement après l’échec des négociations entre les syndicats et le patronat, mettent une pression jamais vue sur les demandeurs d’emploi, observe l’Unédic. L’objectif affiché par l’exécutif est de faire des économies et de ramener les chômeurs vers le marché du travail.
 
Pour les promoteurs de la réforme, qui va entrer progressivement en vigueur dès novembre, les allocations seraient trop généreuses et décourageraient les individus de retrouver un emploi. Le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin a même remis une pièce dans la machine mercredi, affirmant sur France Inter : « On connaît tous certains de nos amis cadres qui se disent qu’ils vont prendre un peu de temps avec les allocations chômage avant de reprendre un boulot ». Pire encore, certaines personnes toucheraient plus au chômage qu’en travaillant (voir la polémique sur les 20 % de chômeurs qui gagnaient plus au chômage qu’en travaillant).
 
Effets négatifs massifs

Après l’annonce en juin des modalités de cette réforme publiées dans un décret, le 28 juillet 2019, les syndicats ont immédiatement réagi. Ils dénoncent une réforme injuste socialement qui entraînerait de terribles effets sur la situation des demandeurs d’emploi. Pourtant aucune réponse du gouvernement. Aucune étude d’impact. Aucune enquête sur les effets de comportement. C’est ce qu’a déploré l’Unédic, mardi lors de la présentation de son rapport sur les perspectives financières de l’assurance-chômage 2019-2022. « Nous avons décidé d’étudier les impacts de cette réforme sur les futurs demandeurs d’emploi. Nous voulions que chacun détienne l’ensemble des informations afin de faire vivre le débat démocratique », a déclaré Patricia Ferrand, présidente (CFDT) de l’Unédic, l’organisme paritaire qui gère l’assurance chômage..

 

Résultat, au cours de la première année de mise en œuvre de l’ensemble des mesures – d’avril 2020 (pour le changement de calcul des indemnités, la dégressivité pour les cadres et l’ouverture des droits aux démissionnaires ainsi qu’aux indépendants) à mars 2021 (mise en place d’un bonus-malus) – un chômeur indemnisé sur deux sera pénalisé par cette réforme. L’autre moitié n’est pas concernée car ce sont des demandeurs d’emploi qui ont travaillé de manière continue, sans alterner périodes de chômage et d’emploi.

Le gouvernement sur le dos des chômeurs

Les premiers vont donc subir de plein fouet les différentes modifications induites par la réforme. Alors que 2,65 millions de personnes auraient pu ouvrir, en avril 2020, un droit selon les règles actuelles, l’étude estime que 9 % d’entre elles (234 000) ne pourront pas y avoir accès, faute d’avoir atteint les six mois de travail nécessaires sur les 24 derniers mois (au lieu de quatre mois sur 28 mois actuellement). Les cadres dont la rémunération dépasse plus de 4 500 euros brut mensuels subiront une dégressivité de leur allocation à partir du septième mois, soit 2 % des allocataires (52 000 personnes). Les 39 % restants (1 million) observeront une baisse de leur revenu de remplacement en raison de la modification du calcul du « salaire journalier de référence » (qui sert à calculer le montant de l’allocation, NDLR), ou une ouverture de droits retardée, voire une durée de droits plus courte.

Les personnes les plus affectées seront les entrants, qui alternent périodes de travail et de chômage (cumul salaire-chômage) et notamment les plus démunis (ceux qui font le moins d’heures). Les droits de celles et ceux qui travaillent moins d’un mi-temps seront divisés par deux. Aujourd’hui, sans la mesure, leur montant mensuel d’indemnisation s’élève à 868 euros en moyenne. Il s’établira à 431 euros pour toutes les personnes ouvrant des droits après le 1er avril 2019. Ils percevront en contrepartie leurs allocations plus longtemps… s’ils vont jusqu’au bout de leurs droits. Les plus jeunes, qui ont des rythmes de travail plus faibles que la moyenne, ainsi que les saisonniers et les intérimaires devraient davantage subir les conséquences de ces nouvelles règles.

Les entreprises épargnées

L’ambition du gouvernement avec cette réforme est aussi de lutter contre le recours massif aux contrats courts. Comment les chômeurs pourront-ils, même s’ils le souhaitent, ne plus enchaîner des périodes de travail et de chômage ? Pour cela, il faudrait que les entreprises réalisent elles aussi des efforts, en proposant des contrats plus stables.

Pour répondre à ce problème récurrent, le gouvernement a décidé de mettre en place un système de bonus-malus. Le principe est de taxer les recours abusifs aux contrats courts ou d’intérim pour que les entreprises augmentent leur volume de CDI. Pourtant, outre le fait de ne rien rapporter financièrement, les échéances et les modalités de cette mesure sont encore très floues et tous les secteurs ne seront pas concernés, regrette l’Unédic. De plus, ces contributions devraient être modulées à partir du… 1er mars 2021, un an après la mise en place des nouvelles règles d’indemnisation des chômeurs. Ces derniers verront donc, la première année, leurs allocations diminuer sans pour autant que les entreprises fassent leur part.

Point positif : une taxe forfaitaire de 10 euros sur chaque contrat d’usage (CDDU), qui sera appliquée à partir de janvier 2020, devrait néanmoins décourager certains employeurs (hors audiovisuel) de recourir aux contrats d’usage de moins d’une journée ou de moins d’une heure.

Des économies vraiment utiles ?
Le gouvernement a opté pour une baisse des allocations-chômage des plus démunis sans pour autant pressurer les entreprises. Mais pas pour rien. Pour faire des économies ! Car comme l’avait affirmé la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, sur le plateau de BFMTV le 19 juin 2019 : « Si on ne fait pas d’économies, dans dix ans on n’aura plus de quoi indemniser les chômeurs. » De quoi légitimer cette réforme qui devrait réduire de 3,4 milliards d’euros les dépenses de l’Unédic. Mais était-ce si urgent ?

La réponse est non. Même en l’absence de réforme, les comptes de l’Unédic sont en train de se rééquilibrer, rappelle le rapport de l’organisme. Déjà, le déficit prévu pour 2019 est bien moindre que celui de 2017, respectivement de 1,8 milliard et 3,4 milliards d’euros. Mais surtout, l’Unédic prévoyait un retour à l’équilibre dès l’année prochaine, puis un excédent de 1,2 milliard d’euros en 2021 et 3,2 milliards d’euros en 2022, sous l’effet d’une amélioration sur le front de l’emploi.

En l’état, le désendettement de l’organisme était déjà possible. Il n’existait pas d’urgence à accélérer la cadence, surtout en rognant sur les droits des allocataires. Avec la réforme, l’excédent doit s’élever à 3 milliards d’euros en 2021, puis 5,3 milliards d’euros en 2022. Dans ces conditions, la dette doit passer de 37,4 milliards d’euros aujourd’hui à 29,4 milliards d’euros (33,5 milliards sans la réforme) dans deux ans.

Peu importe la bonne santé de l’Unédic, le gouvernement a décidé, afin de réduire encore davantage la dette, de la faire rembourser par les chômeurs. « Ce sont au total 4,5 milliards d’économies en trois ans qui se feront au détriment de la moitié des demandeurs d’emploi indemnisés », déplore la CFDT dans un communiqué.

Des effets de comportements inconnus
Devant l’ampleur des impacts annoncés pour les demandeurs d’emploi, les syndicats ne désarment pas. La CGT, FO, la CFE-CGC et Solidaires en appellent au Conseil d’État pour faire annuler cette réforme. De son côté, dès juillet, le gouvernement portait déjà un regard critique sur l’ensemble des chiffres de l’Unédic. Notamment parce que le rapport n’intègre pas les « effets de comportement » dans ces résultats. C’est-à-dire qu’il ne prend pas en compte les potentiels effets psychologiques d’une telle politique, une baisse des allocations amenant peut-être des chômeurs à reprendre plus rapidement un emploi.

Mais selon l’Unédic, rien n’indique que la conclusion de cette politique sera bénéfique pour le marché du travail. L’instance paritaire se défend d’ailleurs en affirmant que « les effets de comportements sont difficiles à prévoir. Rien ne prouve, ni dans la littérature, ni dans les expériences empiriques, que ce type de politique fonctionnerait et qu’elle améliorerait la situation globale de l’emploi. » De nombreuses études affirment même le contraire, et démontrent les effets pervers de ce type de décision.

Quels seront in fine les conséquences concrètes de cette politique sur le comportement des demandeurs d’emploi ? « Nous suivrons de près les effets sur l’emploi de cette réforme », a précisé L’Unédic. Ainsi, en 2020 ou 2021, les premiers changements seront analysés et communiqués par des chercheurs : retour à l’emploi, baisse du taux de chômage, qualité de l’emploi, durée passée au chômage, nombre d’indemnisés, recours au RSA… Une expérience grandeur nature, riche d’enseignements pour les chercheurs qui se penchent sur les politiques de l’emploi, mais beaucoup moins pour les plus démunis qui de manière très empirique, vont perdre des droits.

Source : Alternative Economique 26/09-2019
Auteur : Robin Lemoine