Bernard, Daniel, Michel et les autres… Du bon usage des statistiques

Bernard Hayot est un homme qui pèse dans l'économie de notre île et il est, sans doute, une des personnes les mieux informées de la réalité des affaires dans l'ensemble de l'outre-mer français

Lorsque, en dehors de toute période électorale, il porte un jugement sévère sur la manière dont est gérée la Martinique, on pouvait attendre qu'il soit invité à s'expliquer et que l'occasion soit saisie d'un débat sans enjeu politicien.

Il n'en a, malheureusement, rien été. Beaucoup de nos dirigeants n'aiment pas la critique et usent, sans retenue, du dernier des 38 stratagèmes proposés par le philosophe Schopenhauer pour l'emporter dans une controverse : l'attaque ad hominem et l'injure.

Bernard Hayot a donc été renvoyé à son statut de descendant d'esclavagistes qui persisterait à vouloir se comporter en maître, en prétendant dicter leur conduite aux élus. Et il mériterait d'autant plus d'être livré à la vindicte populaire que les statistiques de l'Insee permettraient aisément de réfuter ses affirmations.

Le problème est que ces statistiques ont été utilisées à très mauvais escient. Pas plus, en effet, qu'il ne serait honnête d'imputer à l'équipe dirigeante de la CTM la baisse du PIB en 2016, on ne peut lui prêter la responsabilité des niveaux actuels du revenu par tête ou de l'indicateur de développement humain qui sont, à peu près, les mêmes depuis des années, le résultat du mouvement long de l'économie et de la société, un héritage, en quelque sorte.

Nul doute que les anciens dirigeants des collectivités locales et l'État &néocolonial& apprécieront le satisfecit involontaire qui leur est décerné. Mais tous ces chiffres ne sont pas opposables à B. Hayot qui, lorsqu'il parle de gestion, vise, à mon sens, non pas les indicateurs eux-mêmes mais plutôt les actions entreprises pour les faire évoluer.

Et, à cet égard, les indicateurs de tendance (la démographie, la croissance, l'investissement public…) montrent que la Martinique va, en effet, moins bien que la Guadeloupe ou que La Réunion.

Nous tenons, peut-être là, la clé d'une énigme : l'apparent aveuglement de la classe politique face à la crise en gestation depuis une dizaine d'années est, probablement, dû à l'insuffisante attention portée au traitement de l'information économique.

Ce que dit Bernard Hayot, beaucoup le pensent ou le ressentent sans oser l'exprimer.

La première des urgences est, peut-être, de libérer la parole, de l'affranchir de la paranoïa et du populisme de nos dirigeants. Ceux d'aujourd'hui comme ceux d'hier. Ils ont, eux-mêmes, tout à y gagner.

Christian Louis-Joseph