Le management face à la crise

es organisations sont-elles capables de gérer des crises ? Difficile de répondre par l’affirmative à cette question, tant les réponses managériales apportées lors des récentes crises ont été diverses, inégales et pas nécessairement rassurantes, notamment lorsqu’il est question d’entreprises leaders dans leurs industries respectives, reconnues et saluées pour certaines pour la qualité de leur management.

Les exemples sont foison : Samsung qui a souffert de problèmes de fiabilité et qui a fini par rappeler son produit star et suspendre sa production ; Volkswagen qui a manipulé les émissions de gaz de certains modèles ; des pannes informatiques qui ont immobilisé des compagnies aériennes comme British Airways récemment ou Delta Airlines ; le PDG de Uber qui s’expose dans une vidéo devenue virale et dévastatrice pour sa réputation et celle de son entreprise, etc.

Automobile, transport aérien, électronique et smartphone, sharing economy, aucun secteur d’activité ne semble épargné. Nous pouvons légitimement nous interroger sur la multiplication des mauvais choix, des hésitations, des maladresses, des incompréhensions voire du déni de la réalité dans certains cas et faire un constat simple : les managers ne semblent pas bien armés pour gérer des crises.

Pourtant, les crises sont des phénomènes inhérents à nos sociétés, de par la complexité de nos environnements et la prise de risque croissante de nos organisations. En effet, nous évoluons dans des environnements de plus en plus dynamiques, concurrentiels et interconnectés, qui poussent les organisations à s’exposer à davantage de risques pour être performantes. Ce qui pourrait paraître surprenant, ce n’est pas tant le nombre et l’étendue des crises que l’on observe, mais plutôt le manque d’efficacité de la réponse managériale face à ces crises. Autrement dit, il existe un réel décalage entre la réponse attendue et la réponse réelle, souvent inefficace, pour des scénarios prévisibles et parfois même connus d’avance. Comment alors expliquer ce décalage ?

La crise, un concept difficile à définir

La difficulté à cerner le concept de crise est un premier élément de réponse. « Crise » est un terme utilisé pour décrire des situations tellement diverses qu’il s’en trouve vidé de son sens. Alors, qu’est ce qu’une crise ? Afin de la différencier d’un problème opérationnel courant ou d’une difficulté de gestion passagère, on parle de crise lorsqu’un événement associe trois attributs : un impact vital qui menace la viabilité voire la survie de l’organisation, une forte complexité où les causes de l’évènement, ses conséquences ainsi que les solutions possibles ne sont pas aisément identifiables, et une urgence élevée qui nécessite une réponse immédiate. Plus le degré de chacun des ces trois attributs (Impact, Urgence, Complexité) sera élevé, et plus la crise sera sévère et challengeante pour le management.

Deuxième élément de réponse, la crise nous confronte à un paradoxe : elle déstabilise et paralyse, et pourtant elle requiert d’agir vite. Prendre son temps pour réfléchir et analyser peut conduire à l’aggravation des conséquences, mais ne pas le faire peut conduire à la même conclusion. Le degré de complexité et d’impact peut créer des situations de stress, et parfois d’anxiété et de peur, et déstabiliser ainsi la prise de décision.

En outre, dans un contexte où la moindre information peut être rapidement diffusée et amplifiée par les nombreux moyens de communication et notamment les réseaux sociaux, l’immédiateté de la réponse attendue et ses potentielles conséquences rajoutent une pression considérable.

Le management entre réaction et proaction

La posture de l’organisation face aux risques et aux crises est un troisième élément de réponse. La culture organisationnelle peut dans ce sens favoriser une posture plutôt réactive ou plutôt proactive selon comment le risque et la crise sont appréhendés. La plupart des organisations s’inscrivent dans une approche dite « évènementielle » où la posture est plutôt réactive : dès qu’un événement considéré comme exceptionnel survient, tous les efforts sont concentrés sur sa maitrise. La priorité des managers est de minimiser les dégâts et revenir au statut-quo, communiquer pour rassurer les parties prenantes et reprendre l’activité le plus rapidement possible.

Certes, cette approche peut s’avérer efficace, mais pose cependant deux problèmes. Le premier est lié à la capacité plutôt limitée d’apprendre de tels évènements, car si rien n’est entrepris post-crise, ces mêmes évènements peuvent se reproduire avec des conséquences similaires voire plus graves ; le second problème est lié à la tentation facile de limiter la gestion de crise à une communication de crise : la crise étant confondue avec son élément déclencheur, il suffirait de communiquer sur l’événement pour régler le problème.

Vers une approche proactive

La posture alternative est de considérer que les crises sont inhérentes au fonctionnement organisationnel, qu’elles ne relèvent pas de l’exceptionnel, et qu’elles ont leur origine dans une succession de dysfonctionnements qui surviennent dans le temps. Au lieu de se focaliser sur un événement, l’attention sera portée au processus qui le génère. Cette approche dire « processuselle » est proactive et porte sur non seulement sur la gestion de l’événement déclencheur, mais aussi sur le management de l’avant et de l’après crise. D’abord, l’avant-crise, où l’accent est mis sur la prévention afin d’atténuer les risques auxquels les organisations sont exposées et de préparer les ressources humaines à y faire face. Et ensuite, l’après-crise, où l’accent est mis sur l’apprentissage organisationnel, afin d’apprendre de ses échecs et de faire évoluer les pratiques et processus pour que les mêmes crises ne se reproduisent plus. Le management de crise devrait dès lors traiter l’avant, le pendant et l’après événement déclencheur avec un double objectif : minimiser l’impact d’une crise lorsqu’elle survient et l’empêcher de se reproduire dans le futur.

Quid de la formation en management de crise ?

Enfin, un dernier élément de réponse réside dans la formation au management de crise. D’abord, il est intéressant de faire un double constat sur la formation initiale : le management de crise est progressivement intégré dans les programmes et maquettes pédagogiques mais reste peu enseigné dans les universités et écoles de management, contrairement aux écoles d’ingénieurs où la confrontation aux problèmes industriels, et notamment la sécurité des individus et des installations industrielles dans des environnements à haut risque, a favorisé depuis plusieurs décennies déjà le développement d’un tel enseignement.

Ensuite, comme cité plus haut, la focalisation sur la communication de crise limite la portée des enseignements et des formations à la partie visible de l’iceberg. La communication de crise est certes indispensable, davantage d’attention devrait cependant être porté au diagnostic et à la prévention pré-crise, ainsi qu’à l’apprentissage organisationnel post-crise.

Enfin, une attention particulière devrait être portée aux dimensions humaines et c’est peut-être là le défi le plus grand. La crise permet de révéler le potentiel mais aussi les doutes et les faiblesses de chacun. Un travail sur soi et sur le leadership en temps de crise paraît donc essentiel et indispensable.

A propos de l'auteur

Amine EZZEROUALI est professeur assistant au Département Management, Droit et Organisation de SKEMA Business School.