Les outils numériques pour une meilleure commande publique.

Comment la numérisation peut-elle faire évoluer la commande publique ?

De nombreux freins ont été soulevés et de nouvelles pistes ont été avancées par les praticiens, décideurs publics et universitaire réunis lors d’un petit-déjeuner à Paris le 7 juin.

La révolution numérique est en marche et ne saurait épargner la commande publique, selon la Chaire Economie des partenariats public-privé (Chaire EPPP) de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Paris. « Si la dématérialisation permet d’abaisser les coûts, la numérisation va au-delà, c’est un esprit, une culture », explique Jean Beuve, directeur scientifique adjoint de la Chaire EPPP. Elle peut faire évoluer la gestion de la commande publique vers une dimension de plateforme où acheteurs publics et entreprises pourraient interagir. Or, « quand on regarde tout ce que permettent les nouvelles règles de la commande publique, par exemple en termes de sourçage ou de négociation, entre acheteurs et entreprises, on constate un gap énorme entre les potentiels du numérique et l’état des fonctionnalités proposées par les plateformes de dématérialisation des marchés pour les mettre en œuvre », signale Philippe Vrignaud. Assurer davantage de possibilités d’échanges et de collaborations, via le numérique, entre les acteurs est l’une des pistes préconisées.

En mode « plateforme » 

« La réforme des marchés publics a permis aux acteurs de sortir de quelques pesanteurs juridiques pour un meilleur partage de l’information et pilotage de la commande publique », estime Philippe Vrignaud, directeur adjoint du programme « Dites-le-nous une fois », en faisant notamment référence à la fin des formulaires DC. Il dresse les paradoxes auxquels la commande publique est confrontée aujourd’hui. « 75% des informations contenues dans le DC1 et le DC2 sont redondantes. Ces formulaires ont été conçus pour simplifier la vie des entreprises au temps du papier et non du numérique. Par ailleurs, les processus de dématérialisation sont calqués sur la démarche papier pour assurer avant tout la sécurité juridique du circuit. Et le fait que chaque administration propose de récupérer des documents sur son propre portail n’est pas une simplification pour les entreprises – ces dernières devant jongler entre de nombreux sites. Il conviendrait plutôt de permettre à l’administration elle-même d’aller récupérer les données des usagers dans le cadre des démarches entreprises devant elle ».

MPS : le numérique de la commande publique

Le service « Marché public simplifié » (MPS) via sa plateforme dédiée le permet et « a fait monter le niveau du numérique dans la commande publique », estime Philippe Vrignaud. Le dispositif compte une trentaine de fournisseurs de données partenaires auprès desquels les acheteurs publics peuvent récupérer les documents notamment de nature sociale ou fiscale des candidats à un marché public. Depuis la fin 2015, le nombre de marchés publics simplifiés a doublé (10 000 consultations et 44 000 candidatures). Selon le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique (SGMAP) qui pilote le service, 78% des entreprises y sont favorables et 50% des sociétés utilisatrices sont des TPE. Après la SNCF, d’autres grandes entreprises publiques comme EDF devraient rejoindre la démarche en qualité d’acheteur.

Davantage de transparence

Par ailleurs, parmi les dix recommandations de la note du Conseil d’analyse économique (CAE) de 2015 tendant à renforcer l’efficacité de la commande publique par la montée en concurrence, transparence et compétence, certaines tiennent à la numérisation. C’est le cas de notamment des recommandations suivantes :

– contraindre la personne publique de fournir les deux rapports synthétiques sur l’analyse des offres avant et après la clôture des négociations (recommandation n° 2), de les publier en ligne ainsi que les informations légales relatives à la procédure, l’offre retenue, le nombre d’enchérisseurs, etc. (recommandation n°5),

– centraliser l’information sur la performance passée des entreprises afin de faciliter et d’encourager son utilisation lors de la phase d’attribution, pour pouvoir pénaliser sans risque juridique les entreprises peu fiables selon les modalités prévues par la directive (recommandation n°3), 

– renforcer la professionnalisation et les compétences des acheteurs publics et des gestionnaires de projets (recommandation n°8).

Toutefois, l’adaptation à de telles procédures n’est pas un jeu d’enfant au regard des nombreux freins au changement.

Nombreux freins

Selon une étude d’Eurogroup Consulting de 2014 sur le numérique et les services publics, 80% des agents de l’Etat estiment les services publics très en retard dans la transformation numérique. Les principaux risques associés au développement du numérique dans l’administration sont l’inégalité d’accès aux services (60%) et la disparition des contacts humains (55%). Les principales craintes des agents tiennent au changement de leurs méthodes de travail (57%), aux réductions d’effectifs (51%) ou au fait de ne pas maîtriser les nouveaux outils (51%). De quoi interroger sur le caractère atteignable de l’objectif du 100% démat’ pour 2018.

Commande publique augmentée en données

Pour autant, « le numérique promet l’avenir d’une commande publique augmentée en données et la France l’a bien compris avec un récent bar camp consacré à la transparence, estime Jean Beuve. Cette commande publique avec des données structurées et ouvertes permettrait notamment à l’acheteur de sourcer, aux entreprises d’affiner leurs études de marché et aux élus de mesurer l’attractivité locale de leur territoire ». Mais les questions ne manquent pas pour franchir cette étape : comment agréger les données ? Sous quel format ? Comment les ouvrir et à qui ?

Enfin, si le numérique est vecteur d’innovations de procédé, il devrait aussi apporter de nombreux produits nouveaux dans le domaine de la commande publique, concluent de concert Stéphane Saussier, directeur scientifique de la Chaire et son adjoint, Jean Beuve.

Source : Le Moniteur