Steve Patole, président du Syndicat des Entrepreneurs en Bâtiment, Travaux Publics et Annexes de Martinique (SEBTPAM) : « Les chefs d'entreprise nous annoncent des plans de licenciement »

Les professionnels du BTP estiment être au bord du gouffre, plusieurs entreprises du secteur risquent de mettre la clef sous la porte si des mesures fortes ne sont pas engagées par la Collectivité Territoriale de Martinique. Steve Patole, le Président du Syndicat des Entrepreneurs en Bâtiment, Travaux Publics et Annexes de Martinique (SEBTPAM), exprime le désespoir et les attentes de ses collègues.

Quatre mois après la mise en place de la CTM, on a le sentiment que l'activité du BTP est à l'arrêt... Est-ce le constat des professionnels du secteur ?
Nous en sommes au stade de l'effondrement d'une profession. Les grands chantiers, notamment ceux du TCSP ou du CHU, qui ont soutenu l'activité ces dernières années sont terminés. Certains projets qui auraient pu prendre le relais sont suspendus. Mais il n'y a pas que ces grands chantiers. La construction de logements privés et tous les petits chantiers qui donnaient du travail aux artisans sont en berne.
Quel est, selon vous, l'exemple type de chantier à l'arrêt qui illustre actuellement votre situation ?
On ne peut pas ne pas citer le cas du lycée Victor-Fouche. La décision d'arrêter les travaux cause un tort considérable aux entreprises concernées. Plus généralement, nous n'avons aucune information sur l'avancement des opérations prévues par le contrat de plan Etat- Région signé l'an dernier. Opérations qui concernaient, par exemple, la réduction de la vulnérabilité sismique, le traitement des eaux usées, la réhabilitation de plusieurs bâtiments publics et des centre-bourgs, etc.
Manifestement les signaux d'alerte envoyés aux candidats avant les élections et vos inquiétudes n'ont pas été entendus ?
Nous avions, malheureusement, raison d'être inquiets à la veille de l'élection de la nouvelle assemblée territoriale. La paralysie que nous redoutions est bien là. Elle ne frappe pas seulement la CTM. Elle touche les autres donneurs d'ouvrages publics, en partie à cause de difficultés financières, en partie aussi parce que leurs réalisations dépendent des concours de la CTM et des fonds européens gérés par la CTM.
Concrètement quels sont les indicateurs qui montrent que l'effondrement du secteur, observé notamment en 2015, s'accentue à grands pas ?
Il y a, d'abord, les ventes de ciment qui ont reculé en 2015 et qui ont continué de baisser au cours des trois premiers mois de 2016. Pensez que les ventes de ciment en sacs qui alimentent les marchés privés, ceux qui occupent les petites entreprises et les artisans ont diminué de 9% en 2015. Il y a, ensuite, les chiffres de l'emploi. La légère reprise des premiers mois de 2015 a fait long feu. Aujourd'hui, les chefs d'entreprise nous annoncent des plans de licenciement qui, dans un premier temps, concerneraient des centaines de salariés. Les budgets d'investissement de plusieurs collectivités sont annoncés à la baisse. Le nombre de consultations lancées n'a jamais été aussi bas : trois ou quatre appels d'offres pour la CTM au premier trimestre. Enfin, les délais de paiement recommencent à s'allonger. Nous sommes pris dans un étau.
Dans l'immédiat qu'attendent les chefs d'entreprises de la CTM ?
Nous attendons qu'il soit mis un terme au climat d'incertitude et d'attente dans lequel nous baignons. Nous ne sommes pas naïfs et nous mesurons les difficultés auxquelles se heurte notre nouvelle assemblée. Il y a, selon nous, urgence à réunir le Haut Conseil de la Commande Publique, sur un ordre du jour convenu avec les professionnels. Nous souhaitons que le président de la CTM prenne, sans tarder, une initiative en ce sens.
Avez-vous le sentiment qu'après le discours d'investiture du président du Conseil exécutif que les actes ne sont pas au rendez-vous ?
La posture du juge n'est pas la nôtre. Nous avons, au contraire, le sentiment d'être en accord avec ce discours qui prônait le dialogue constructif et qui affirmait la vocation de la CTM à être l'animateur de la vie économique.
On risque de vous dire que les caisses sont vides et qu'il faut attendre les résultats des audits, non ?
Ce que nous demandons dans l'immédiat ne pèsera pas sur les finances de la collectivité. Nous souhaitons connaître les priorités de la CTM en matière d'investissement ; connaître l'état de préparation des projets et leur calendrier prévisionnel d'investissement, dans la meilleure comme dans la pire des hypothèses. Nous attendons le respect des délais de paiement prévus par la loi et une lutte efficace contre le travail illégal, particulièrement dans le cas des détachements de travailleurs étrangers.
Quid des investisseurs privés ?
Dans le contexte actuel d'incertitude sur l'avenir, ils restent dans une expectative prudente.
Les carnets de commande sont vides, plusieurs centaines d'emplois sont menacées... Va-t-on vers une explosion sociale si rien n'est fait ?
Nous avons reçu, à s a demande, le syndicat de salariés majoritaire dans la profession. Ils nous a f ait part de son inquiétude et de sa mobilisation. Si rien ne bouge, nous risquons de voir, dans la rue, chefs d'entreprise et salariés manifestant au coude à coude. Je le répète : nous étions dans la crise. Nous sommes aujourd'hui dans l'effondrement.
Des logements neufs en net recul
Les attestations de conformité du Consuel (logements neufs livrés)
2014 : 2 936
2015 : 2 535
Évolution : - 13,6%
Près de 8 000 personnes vivent directement du BTP
 
La Caisse de sécurité sociale a enregistré, au 31 décembre 2014, 878 entreprises du BTP qui employaient, à cette date, 5384 salariés, chiffre auquel il conviendrait d'ajouter le nombre des intérimaires et des indépendants opérant dans le secteur, probablement plus de 2 000 personnes.

Source : France-Antilles du 12 avril 2016