Réforme des marchés publics : quelle forme prendra l’acte permettant de modifier le contrat ?

Point de vue d'Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d’Or;

Le projet de décret relatif aux marchés publics définit limitativement les cas de modification d’un contrat. Mais il supprime les notions d’avenant et de décision de poursuivre, et ne précise pas la forme juridique que devra prendre l’acte de modification. Pour Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d’Or, la réforme des marchés publics est l’occasion rêvée de consacrer le pouvoir de modification unilatéral de la personne publique.

 
En sursis pendant quelques mois encore, l’article 118 est l’unique disposition du Code des marchés publics évoquant les modalités de modification du contrat. Et encore, n’est ici traitée que l’hypothèse particulière où le montant contractuel est atteint avant que les besoins définis dans le contrat soient entièrement satisfaits : « Dans le cas particulier où le montant des prestations exécutées atteint le montant prévu par le marché, la poursuite de l’exécution des prestations est subordonnée, que les prix indiqués au marché soient forfaitaires ou unitaires, à la conclusion d’un avenant ou, si le marché le prévoit, à une décision de poursuivre prise par le pouvoir adjudicateur. »
 
Sous l’impulsion des directives 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014, l’article 134 du projet de décret d’application de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 (applicable le 1er avril prochain) définit le cadre dans lequel les marchés publics peuvent être valablement modifiés en cours d’exécution.
 
Modification du marché : des hypothèses restrictives :
– modifications prévues par une clause stipulée dans le contrat initial, ce qui exclut que ladite clause puisse elle-même être adjointe au contrat en cours d’exécution : « 1° Lorsque les modifications, quel qu’en soit le montant, ont été prévues dans les documents contractuels initiaux sous la forme de clauses de réexamen, dont des clauses de variation du prix ou d’options claires, précises et sans équivoque. Ces clauses indiquent le champ d’application et la nature des éventuelles modifications ou options ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage ».
 
– prestations supplémentaires non prévues au marché initial et pour lesquelles le choix du titulaire initial s’impose : « 2° Pour les travaux, fournitures ou services supplémentaires, quel qu’en soit le montant, qui sont devenus nécessaires et qui ne figuraient pas dans le marché public initial, lorsqu’un changement de contractant remplirait les conditions cumulatives suivantes :
a) Il est impossible pour des raisons économiques ou techniques telles que l’obligation d’interchangeabilité ou d’interopérabilité avec les équipements, logiciels, services ou installations existants achetés dans le cadre du marché public initial ; 
b) Il présenterait un inconvénient majeur ou entraînerait une augmentation substantielle des coûts pour l’acheteur. 
Toutefois, lorsque l’acheteur est un pouvoir adjudicateur, l’augmentation de prix ne peut pas être supérieure à 50 % de la valeur du marché public initial. Lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, cette limite s’applique au montant de chaque modification. Les modifications successives ne peuvent avoir pour effet de contourner les dispositions du présent article ».
 
– modifications résultant de circonstances imprévues : « 3° Lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir. Toutefois, lorsque l’acheteur est un pouvoir adjudicateur, l’augmentation de prix ne peut pas être supérieure à 50% du montant du marché public initial. Lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, cette limite s’applique au montant de chaque modification. Les modifications successives ne peuvent avoir pour effet de contourner les dispositions du présent article ».
 
– cession de marché à un nouveau titulaire : « 4° Lorsqu’un nouveau contractant remplace le titulaire du marché public, dans l’un des cas suivants : 
a) En application d’une clause de réexamen ou d’une option conformément au 1° ; 
b) À la suite d’une succession universelle ou partielle du titulaire assurée par un autre opérateur économique qui remplit les conditions de participation à la procédure de passation du marché public, à condition que cela n’entraîne pas d’autres modifications substantielles ».
 
– modifications non substantielles : « 5° Lorsque les modifications, quel qu’en soit le montant, ne sont pas substantielles. Une modification est considérée comme substantielle lorsqu’au moins une des conditions suivantes est remplie :
 a) Elle introduit des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure initiale de passation, auraient permis l’admission d’autres opérateurs économiques que ceux retenus initialement ou l’acceptation d’une offre autre que celle initialement acceptée ou auraient attiré davantage d’opérateurs économiques à la procédure ; 
b) Elle modifie l’équilibre économique du marché public en faveur du titulaire d’une manière qui n’était pas prévue dans le marché public initial ; 
c) Elle élargit considérablement le champ d’application du marché public ; 
d) Elle a pour effet de remplacer le titulaire initial par un nouveau titulaire en dehors des hypothèses prévues au 4° du I ».
 
– modifications dont l’impact financier ne dépasse pas certains seuils : « 6° Lorsque le montant de la modification est inférieure aux seuils européens mentionnés à l’article 42 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée et à 10% du montant du marché initial pour les marchés publics de services et de fournitures ou 15% du montant du marché initial pour les marchés publics de travaux. Lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, l’acheteur prend en compte le montant cumulé de ces modifications. »
 
 
La modification d’un contrat en cours d’exécution est susceptible de se traduire par la conclusion d’un nouveau marché, sans publicité ni mise en concurrence, avec le titulaire initial du contrat. Ceci explique certainement le fait que l’article 72 de la directive 2014/24/UE définisse le champ d’application de la modification du marché comme étant une exception à l’obligation de lancer une nouvelle procédure de passation de marché.
Ainsi, à l’instar de ce que prévoit l’article 72 de cette directive, les dispositions du futur décret d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 définiront un régime d’autorisation des modifications, l’exercice de transposition laissant peu de marge de manœuvre au gouvernement sur ce sujet.
Or, il s’agit là d’une différence fondamentale par rapport à l’actuel droit national, en vertu duquel ce qui n’est pas interdit est autorisé. A l’avenir, à défaut de réunir les conditions limitativement prévues par le décret les autorisant, les modifications du marché seront interdites, si ce n’est dans le cadre de la passation d’un nouveau marché. Ne doutons pas par ailleurs, que l’appréciation de ces conditions sera d’interprétation stricte.
 
Une apparente liberté quant à la forme de l’acte modificatif
Le projet de décret supprime en outre des spécificités du droit national, puisque les notions d’avenant et de décision de poursuivre sont supprimées du droit de la commande publique. Ces notions sont également absentes des textes communautaires régissant les marchés publics. La nature de l’acte juridique par lequel les modifications peuvent être apportées au marché n’est donc plus explicitement imposée.
 
Ceci soulève donc la question des modalités pratiques permettant d’opérer de telles évolutions contractuelles. En effet, celles-ci mériteront-elles de donner lieu à la passation obligatoire d’un nouveau contrat avec le titulaire initial – de type avenant – en vertu du principe du parallélisme des formes, ce qui, juridiquement, serait la solution la plus convaincante ?
Ou pourront-elles intervenir indifféremment par acte unilatéral de la personne publique (ordre de service ou toute autre forme de décision) ou par un nouveau contrat ?
 
Dans la mesure où l’article 134 du projet de décret prévoit qu’une clause du marché initial peut valablement prévoir des modifications contractuelles, il semble raisonnable d’admettre que ladite clause puisse stipuler que les modifications pourront être opérées par acte unilatéral de l’acheteur et/ou du maître d’œuvre, notamment lorsqu’à défaut d’accord entre les parties la signature d’un avenant n’est pas possible.
 
Cette disposition du projet de décret paraît donner également une assise juridique aux dispositions des articles 14 et 15 du CCAG travaux lesquels, rappelons-le, permettent au maître d’œuvre de notifier par ordre de service la réalisation de travaux supplémentaires ainsi que les prix provisoires qu’il retient pour leur paiement.
 
Vers la consécration textuelle du pouvoir de modification unilatéral des contrats administratifs ?
Il nous semble que cette refonte du corpus juridique de la commande publique offre l’occasion de traduire dans le décret d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 le pouvoir de modification unilatéral des contrats administratifs reconnu aux personnes publiques par la jurisprudence (CE, 2 février 1983, « Union des transports publics urbains et régionaux », n° 34027 – CE, 11 mars 1910, « Compagnie générale française des tramways », n° 16178 –  CE, 10 janvier 1902, « Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen », n° 94624). 
 
En effet, ni la réglementation, ni la législation ne traitent du cas où, à défaut d’accord entre les parties, la signature d’un avenant n’est tout simplement pas possible. Ainsi, en pratique, l’absence d’un avenant, exigé il est vrai par les textes, entraîne régulièrement le rejet par les comptables publics des mandats de paiement de prestations supplémentaires. Alors même que l’acheteur public a ordonné la réalisation de ces prestations, accepte le principe d’un paiement supplémentaire mais n’accepte pas le prix demandé par l’entreprise.
 
L’objet d’un marché public se rattache plus ou moins directement à l’accomplissement d’une mission de service public et à la satisfaction de l’intérêt général. Au-delà de la jurisprudence, il serait dès lors utile de reconnaître règlementairement aux personnes publiques un tel pouvoir de modification unilatérale ainsi que ses conséquences financières pour les entreprises.
Cette consécration textuelle permettrait d’éviter qu’un désaccord entre les parties compromette la bonne satisfaction des besoins publics, mais également le paiement légitime des entreprises sur la base des sommes admises par la personne publique.
 
La directive du 26 février 2014 a su intégrer la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. L’intégration de celle du Conseil d’Etat est à la portée du gouvernement, dans l’optique d’une future codification du droit de la commande publique.
 
Source : Le Moniteur