BBC : comment expliquer les écarts entre les performances calculées et réelles

Une étude menée par le Cerema sur 60 opérations BBC permet d’évaluer les écarts imputables aux défauts du bâtiment, des équipements ou des comportements des occupants et des exploitants.

Depuis 2006 et le lancement des premiers bâtiments démonstrateurs par la plateforme de recherche et d’expérimentation sur l’énergie dans le bâtiment (Prebat), près de 3 000 bâtiments basse consommation ont été réalisés, avec le soutien de l’Ademe et des régions. Parmi eux, plus de 200 ont été instrumentés pour mesurer leur performance énergétique réelle sur deux ans. Ce suivi technique a  été complété par des observations et des enquêtes sociologiques auprès des occupants et des exploitants, afin de mieux connaître leurs modes d’occupation des bâtiments.
 
L’Ademe et la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère de l’Ecologie ont demandé au Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) de tirer les enseignements de ces opérations. Un colloque organisé le 22 janvier au ministère a permis de restituer cette capitalisation portant sur un échantillon de 60 opérations, mixant les logements individuels et collectifs et les bâtiments tertiaires, évaluées de 2012 à 2015 par le Cerema et des bureaux d’études partenaires.
Ingénieurs et sociologues
 
 
 
Des sociologues de l’université de Tours et des bureaux d’études sociologiques GBS et BESCB sont venus apporter leur appui aux ingénieurs pour tenter d’expliquer par des comportements humains des écarts entre consommations réelles et calculées qui n’étaient pas imputables aux objets techniques. Christophe Beslay, sociologue de BESCB, note qu’il est parfois difficile de définir la part technique et la part sociale dans les écarts de consommation. « S’approprier, c’est transformer. Or les bâtiments étudiés sont pionniers et représentent un nouveau modèle exigeant. L’hyper sophistication des techniques (étanchéité à l’air, VMC…) tient les utilisateurs à l’écart. Les bâtiments devenus des objets complexes sont souvent difficiles à régler, à exploiter, à habiter. Ils impliquent de nouveaux modes de vie encore en phase d’expérimentation. »
 
 
 
L’étude thermique réglementaire ne prédit pas la consommation future
 
 
 
« L’étude thermique réglementaire, rappelle le Cerema, n’est pas destinée à prévoir la consommation future. Et les consommations théoriques calculées selon la méthode de la RT 2005 ne peuvent pas être comparées directement aux consommations mesurées in situ. Les conditions météorologiques et le mode d’occupation réels diffèrent généralement des données conventionnelles adoptées pour le calcul. » Pour chaque opération, la consommation a donc été recalculée en fonction des conditions réelles d’occupation et de météo.
 
Malgré ces corrections, il apparaît cependant que les performances attendues à la conception ne sont pas atteintes. La consommation totale pour les cinq usages inclus dans la réglementation thermique (chauffage, eau chaude sanitaire, rafraîchissement, ventilation et éclairage) varie de 50 à 90 kWhep/m².an en bureaux, de 70 à 170 kWh/m².an pour les autres bâtiments tertiaires, de 70 à 110 kWh/m².an pour les logements collectifs et de 40 à 80 kWh/m².an en maison individuelle.
 
Si le niveau BBC n’est pas atteint, puisqu’il subsiste un écart de 20 à 40 kWh/m².an, la performance constatée reste largement supérieure à la RT 2005, tempèrent les auteurs de l’étude. Ils se sont employés à expliquer l’écart qui subsistait entre le résultat calculé corrigé et la consommation mesurée. Une partie provient de la performance réelle du bâti et des systèmes (performance réelle des composants, conditions de mise en œuvre, gestion des équipements). Le reste, difficile à modéliser, est à chercher du côté des pratiques des acteurs, occupants ou gestionnaires.
 
 
 
Bâti performant et équipements surdimensionnés
 
 
 
Le chauffage reste le premier poste de consommation énergétique des bâtiments basse consommation, soit 50% du total des usages réglementés. L’eau chaude sanitaire est le deuxième poste dans les logements, malgré le recours au chauffe-eau solaire, tandis que c’est la ventilation qui vient en deuxième dans le tertiaire, notamment les bureaux.
 
Si le niveau d’isolation thermique réel des bâtiments étudiés n’atteint pas tout à fait le niveau calculé, il se situe à un bon niveau : le coefficient de déperdition thermique Ubât varie de 0,2 à 0,8 W/m².K, soit 20% de mieux que la RT 2005. L’étanchéité à l’air de l’enveloppe est globalement bien réalisée, malgré quelques défauts autour des menuiseries et des percements de la membrane d’étanchéité. La perméabilité à l’air mesurée est généralement inférieure à 1m3/h.m². 
En revanche, du côté des équipements se pose le problème du dimensionnement des installations. Les besoins de chauffage étant réduits, les pompes à chaleur ou les chaudières gaz à condensation fonctionnent souvent en cycles courts pour les premières et à faible puissance pour les secondes, ce qui dégrade la performance du système et réduit sa durée de vie. Et si les réseaux de distribution du chauffage sont de mieux en mieux isolés, il reste des pertes thermiques au niveau des organes de régulation.
 
Du côté de la ventilation, les ingénieurs impliqués dans l’étude ont jugé que les équipements étaient techniquement efficaces. En revanche, les sociologues qui ont interrogé les occupants ont constaté que ces derniers restent réservés sur la VMC. Dans le tertiaire, on la confond avec la climatisation. Dans les logements, les occupants continuent d’aérer leur chambre le matin, utilisent peu les systèmes de surventilation et contournent les « nuisances » de bruit en coupant la ventilation la nuit. Quant aux filtres, ils ne sont pas changés par manque d’information, de moyens financiers ou d’accessibilité.
 
 
 
Confort d’été pas si mauvais
 
 
 
Avec le développement des bâtiments très isolés qui confinent à l’intérieur les apports solaires et les apports internes, on a craint de constater des surchauffes en été, par un effet Thermos. Dans l’échantillon étudié, le confort d’été s’avère globalement acceptable. La forte isolation permet en effet de réduire les apports de chaleurs par les parois opaques. Mais, notamment en logement, une gestion active de la ventilation naturelle et des protections solaires par des occupants est alors nécessaire. Si la fermeture des volets le jour et l’ouverture des fenêtres la nuit sont intégrées dans la culture méditerranéenne, ce n’est pas encore le cas dans le reste du territoire, constatent les sociologues.
 
 
 
Les usages non réglementés consomment autant que les cinq usages de la RT
 
 
 
Les consommations mesurées lors de l’étude concernent les usages réglementés ainsi que les postes non réglementés  immobiliers (ascenseurs, portes automatiques, sécurité incendie, gestion des accès…) et mobiliers (bureautique, éclairage d’appoint, électroménager, audiovisuel…).
 
Premier enseignement de l’étude : les postes non réglementés prennent une part importante dans la consommation énergétique totale. Généralement comprise entre 50 et 90 kWhep/m².an, leur consommation équivaut à celle des postes réglementés dans les bureaux et plus de la moitié dans les logements. Il est normal que les efforts portés sur la performance des bâtiments fasse baisser la consommation des postes réglementés, donc augmenter la part relative des autres équipements. Plus surprenant : la consommation électrique dans les bureaux dépasse la moitié de la consommation annuelle ! Les ascenseurs  sont mis en cause lorsque l’éclairage des cabines est permanent ou mal temporisé. La mesure précise des consommations poste par poste permet de débusquer toutes les sources potentielles d’économie, sans perte de confort ou contrainte supplémentaire. Ainsi, Olivier Sidler, qui dirige Enertech, l’un des bureaux d’études impliqués dans l’étude, pointe les blocs autonomes d’éclairage de sécurité. Sur l’échantillon étudié, ils peuvent consommer selon les modèles de 13,5 à 108 kWh par an pour un même service, soit un rapport de 1 à 8 !
 
Parmi les équipements mobiliers des bureaux, c’est la bureautique la plus gourmande. Sur l’une des opérations étudiées, les ordinateurs, serveurs et leur climatisation associée représentent ainsi 95% de la consommation électrique. Pourtant, il existe des solutions pour réduire ce poste de consommation. Un ordinateur portable consomme quatre à cinq fois moins qu’un fixe : 70 kWh/an contre 250 kWh/an d’énergie finale. La consommation des salles de serveurs s’envole à cause d’une puissance de fonctionnement élevée, d’un fonctionnement permanent, d’une climatisation dédiée et de pertes des onduleurs. La mise en commun de ces salles de serveurs permettrait de diviser la trois leur consommation. Enfin, rappellent les auteurs de l’étude, une machine café consomme autant que trois ordinateurs fixes ou douze portables. Et un seul sèche-mains de 300 W consomme 0,8 kWh/m².an. C’est peu pour un bâtiment standard mais cela représente 2% des consommations réglementaires pour un bâtiment BBC.
 
Source : Le moniteur