Le modèle économique de l’égalité professionnelle

Une majorité de dirigeants d’entreprise délaisse ce modèle, alors qu’il peut améliorer les performances des entreprises.

 
Le 8 mars sera la Journée internationale de la femme. Une nouvelle fois les féministes dénonceront l’inégalité professionnelle en termes de rémunération et d’accès aux postes de direction. Une nouvelle fois quelques dirigeants d’entreprise feront un exercice de communication sur leurs actions en faveur de la diversité et la majorité des autres feront le dos rond avec un air narquois en attendant que l’actualité passe à autre chose.
 
Pourtant, au-delà des enjeux de justice sociale, promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes peut contribuer à la performance des entreprises. Favoriser la diversité des équipes permet d’améliorer la qualité des recrutements. Le prix Nobel d’économie Gary Becker avait souligné dès 1957 qu’un dirigeant qui sélectionnerait ses salariés sur un critère autre que la productivité (sexe, race, religion, …) se priverait nécessairement de talents et serait moins performant que ses concurrents.
 
Cela est d’autant plus vrai que désormais les filles représentent plus de la moitié des diplômés de l’enseignement supérieur. Se priver de ces talents ne peut que nuire à l’entreprise. La diversité permet également de mieux comprendre les tendances du marché. La0 moitié des consommateurs sont désormais des consommatrices avec des besoins et des envies spécifiques. Certains constructeurs automobiles nomment des femmes à la direction de projet de nouveaux véhicules pour mieux répondre aux attentes des conductrices. La diversité permet également d’améliorer les processus de décision et d’améliorer l’évaluation des risques.
 
Lors de la crise financière de 2008, les banques dont le middle-management était proche de la parité comme BNP Paribas, JPMorganChase ou Royal Bank of Canada se sont révélées particulièrement peu exposées aux risques des subprimes alors qu’UBS, Credit Suisse ou Deutsche Bank, dont le management est notoirement peu féminisé, ont subi de très lourdes pertes en raison de leurs investissements inconsidérés sur ces marchés financiers. L’égalité dans les postes de management est également un facteur de motivation pour l’ensemble des femmes de l’entreprise. Elles peuvent espérer être promues sans avoir à se heurter à un plafond de verre trop épais. Enfin, de plus en plus de parties prenantes (actionnaires, donneurs d’ordre, pouvoirs publics, consommateurs et médias) interpellent les entreprises sur leur responsabilité sociale, notamment en matière d’égalité professionnelle, et sont influencées par les pratiques de gestion des ressources humaines que les employeurs mettent en œuvre en matière de diversité.
 
Cette convergence entre politique d’égalité professionnelle et intérêt économique se traduit dans les performances financières des entreprises. L’analyse des grandes entreprises françaises met en évidence une forte corrélation entre la féminisation de l’encadrement et la rentabilité opérationnelle. En matière d’investissement socialement responsable, l’investisseur qui en 2006 aurait investi dans les dix grandes entreprises françaises dont l’encadrement est le plus féminisé aurait réalisé en 2011 un gain de 16,96% alors que le CAC40 perdait 18,69%. En 2016, son gain sur dix ans aurait été de 71,33% contre une perte de 4,43% pour le CAC40. Entre 2011 et 2016, ce portefeuille a réalisé un gain de 46,48% contre 17,54% pour le CAC40.
 
Il y a donc bien un modèle économique de l’égalité professionnelle qui permet aux entreprises de conjuguer performances financières et responsabilité sociale tout en offrant une alternative aux investisseurs socialement responsables.
 
Michel Ferrary, Professeur à la faculté d’économie et de management de l’Université de Genève