Lettre ouverte de Benoît Girardin, Avocat, à Monsieur le Président de la République

Monsieur le Président de la République,

Rarement une loi aura déclenché de telles réactions, rarement une loi aura mobilisé autant de détracteurs, rarement une loi aura fédéré autant d’opposants aussi divers que féroces.
On ne peut que s’étonner d’une telle catastrophe qui aura pour première conséquence de rendre encore plus difficile l’avènement inéluctable d’un nouveau Code du travail tant cette réforme avait été bien préparée.
D’abord, pour ancrer politiquement votre projet, vous aviez alerté la conscience historique de la gauche, Monsieur BADINTER, en lui adjoignant les compétences de celui qui a transmis à beaucoup d’entre nous sa passion du Droit du travail, le Professeur Antoine LYON CAEN. 1er étage de la fusée : La conscience au service du concept.
Pour crédibiliser techniquement, votre projet, vous aviez réuni les plus grands théoriciens, sous la direction d’un homme faisant l’unanimité, Monsieur COMBREXELLE ancien Directeur Général du Travail sous diverses majorités. 2ème étage de la fusée : La technique au service du concept.
Et puis vint le crash….
D’abord Monsieur REBSAMEN, pilote désigné, a préféré assurer son avenir personnel dans sa ville, mais il est vrai que la politique est son métier, et abandonner le navire enfin la fusée qui n’avait plus de pilote …L’intérêt personnel d’un homme a prévalu sur l’intérêt général.
Certes vous n’êtes pas responsable mais je pensais peut-être naïvement que le Président de la République pouvait exiger de l’un de ses plus proches qu’il privilégie l’intérêt général pour lequel il avait été nommé Ministre de la République. Mais non, vous n’avez rien exigé et l’amitié personnelle a prévalu sur l’intérêt général.
Vous décidez alors de confier le sort de 27 millions de salariés à une jeune et brillante espoir de votre camp qui n’a cependant jamais travaillé dans le privé, jamais ouvert un Code du travail, jamais croisé une Organisation Syndicale jamais dirigé un ministère…et pourtant combien de spécialistes de votre camp, ou pas, auraient rêvé du job… Mais non l’intérêt politique a prévalu sur l’intérêt général.
Le problème, Monsieur le Président, c’est que vous êtes le seul à pouvoir défendre et incarner l’intérêt général car toutes les autres forces revigorées aujourd’hui par vos renoncements défendent des intérêts particuliers et clientélistes.
Alors qui …
Qui va défendre l’intérêt général, expliquer à l’opinion publique et au(x?) million(s?) de signataires de la dernière pétition en vogue que le Code du travail n’est plus la règle du jeu d’un sport de combat opposant employeurs et salariés qui doivent nécessairement se réconcilier ?
Qui va expliquer que si l’emploi est devenu nécessairement précaire c’est parce que l’activité économique qui la soutient l’est et pas parce que les patrons le souhaitent ?
Qui va expliquer que les deux plus grandes richesses de l’entreprise sont ses salariés et ses clients ?
Qui va expliquer qu’il est impossible d’instaurer de la sécurité à durée illimitée chez des acteurs économiques qui sont confrontés à une insécurité quotidienne ?
Qui va expliquer que le dialogue social n’existe pas et n’existera jamais au sein des millions de sociétés les plus à même de créer des emplois faute d’acteurs syndicaux qui ont perdu leur légitimité au sein de ses structures ?
Qui va enfin expliquer que le Code du travail,
pensé et élaboré au siècle dernier, en période de croissance, par et pour les grandes entreprises, souvent industrielles, pour protéger les emplois existants, est totalement inadapté à l’économie du XXIème siècle,
et doit devenir un code de l’activité professionnelle, adapté aux TPE/PME favorisant la création d’emplois, salariés ou non.
Pas le MEDEF, Monsieur le Président, qui ne défend les intérêts que de ses adhérents et ceux de ses actionnaires dont les plus influents sont les groupes appartenant au CAC 40 et dont les intérêts financiers sont éloignés de l’intérêt général.
Pas les organisations syndicales représentatives de salariés, Monsieur le Président, qui défendent les intérêts de leurs adhérents c’est-à-dire les salariés ayant un emploi, les insiders, en opposition souvent aux intérêts du syndicat d’à côté et toujours au mépris des intérêts de ceux qui sont en dehors du marché du travail, les chômeurs.
Pas les étudiants Monsieur le Président, qui ne font qu’exprimer une angoisse légitime à l’égard d’un marché du travail qui ne veut pas d’eux alors que vous aviez promis de les ré-enchanter…
Pas les frondeurs Monsieur le Président, qui défendent le peu de crédibilité qui leur reste au sein de leur circonscription et qui doivent s’assurer, sauf à perdre leur boulot, d’une réélection très incertaine en défendant des concepts d’un monde du travail ancien et révolu …
Pas Madame AUBRY et ses amis, Monsieur le Président, mais ça vous savez pourquoi depuis longtemps…
Alors, il faut tenir, Monsieur le Président, ne rien lâcher ne rien céder à la somme des intérêts particuliers et clientélistes portés par ceux qui ne se soucient ni de l’intérêt général ni de notre avenir commun mais uniquement des intérêts de ceux dont ils ont la charge et dont ils assurent la défense.
Il faut tenir Monsieur le Président car si entre vous et moi, il n’y a pas grand-chose dans cette loi il faut reconnaitre qu’elle devient un marqueur idéologique et le prémice d’une révolution qui devra nécessairement accompagner la révolution en cours du monde du travail.
Vous avez l’occasion avec cette loi d’imposer votre vision de l’intérêt général à la somme des intérêts particuliers et conservateurs mais si vous cédez Monsieur Président, ne serait-ce qu’un centimètre alors vous serez emporté à un moment ou à un autre mais au plus tard en 2017.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, à l’assurance de ma respectueuse considération.

Benoît Girardin, Avocat

Cabinet Girardin