Projet de décret marchés publics : Dits et non-dits de la direction des affaires juridiques de Bercy

Le décret d’application de l’ordonnance marchés publics paraîtra dans quelques jours. Le 10 mars, à l’occasion d’une conférence organisée par la Gazette des Communes, le pilote de la réforme, Jean Maïa, directeur des affaires juridiques de Bercy, a évoqué en filigrane le contenu du futur texte.

Le projet de décret marchés publics a passé l’étape du Conseil d’Etat. Ne restent plus que quelques ajustements et les signatures avant la parution du texte. A une date… inconnue. La réforme des marchés publics entrera bien en vigueur au 1er avril assure cependant, Jean Maïa, le directeur des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Economie, qui pilote le chantier de transposition des directives marchés publics. Le DAJ s’exprimait le 10 mars lors d’une conférence sur les marchés publics organisé à Paris par la Gazette des Communes (groupe Infopro Digital, également propriétaire du Moniteur). Ce décret d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 sera accompagné d’un second décret dédié aux marchés de la Défense, et de trois arrêtés.

Le Parlement en embuscade

Le projet de décret a été « amélioré » par le Conseil d’Etat, a révélé Jean Maïa. Mais c’est au législateur que reviendra le dernier mot sur la transposition française. Deux indices ont été lancés lors de la conférence. Le premier, par Jean Maïa lui-même, alors qu’il abordait la question de la codification du droit de la commande publique qui suivra la publication des textes : « Le chantier de la codification se fera à droit constant, a-t-il indiqué, sous réserve de ce que le Parlement souhaitera. Il pourra intervenir ou ratifier ». L’une des grandes nouveautés de la réforme de la commande publique 2016 est que ce droit passera du niveau réglementaire à une assise législative. Or dès le 16 mars, la commission des lois du Sénat se penchera sur la ratification de l’ordonnance du 23 juillet 2015. Le sénateur Philippe Bonnecarrère, président de la mission d’information du Sénat sur la commande publique qui a présenté son rapport en octobre 2015, également présent à la conférence, a indiqué qu’il déposerait un amendement pour circonscrire le délit de favoritisme à un caractère intentionnel à l’occasion de l’examen du projet de loi de ratification de l’ordonnance… Celle-ci pourrait donc bien être modifiée dans quelques semaines… Le Parlement ne se prononcera vraisemblablement qu’après la publication du décret d’application au Journal officiel, le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 23 juillet 2015 n’étant pas encore inscrit à l’ordre du jour du Sénat et devant ensuite passer devant l’Assemblée nationale…

Acceptation du DUME au 1er avril

Sur le contenu du projet de décret marchés publics, le DAJ a en revanche confirmé quelques informations. Le seuil à partir duquel une évaluation préalable des projets d’investissement est obligatoire sera bien de 100 millions d’euros HT. Sur le sujet de la dématérialisation, les acheteurs publics devront accepter le document unique de marché européen (DUME) à compter du 1er avril 2016. Au-dessus des seuils de marchés publics européens comme en dessous… Mais a tenté de rassurer Jean Maïa, « les entreprises ne vont pas se précipiter sur le DUME ». L’objectif de la France est d’aller vers « un DUME MPSisé », a dévoilé le DAJ. Le dispositif du marché public simplifié (MPS), grâce auquel les entreprises candidatent aux marchés publics avec leur seul numéro de Siret, permet aux entreprises comme aux acheteurs de « se concentrer l’offre », a-t-il explicité. Mais le dispositif MPS peine à décoller : 7100 marchés ont été lancés avec le dispositif MPS depuis deux ans ; aujourd’hui il y en aurait 800 à 900 par mois. « Ce n’est pas satisfaisant » a tancé, lors de la conférence, Philippe Vrignaud, directeur adjoint du projet « Dites-le-nous une fois » au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP). Pourtant le dispositif MPS s’avère plus simple que le DUME : « il faut être geek pour répondre à un marché avec le DUME », a même lâché Philippe Vrignaud. Selon le SGMAP, environ mille acheteurs publics autorisent le MPS. Le directeur adjoint du projet « Dites-le-nous une fois » invite les autres acheteurs à se lancer dans l’aventure (le DAJ estime à 130000 le nombre de pouvoirs adjudicateurs en France, soit « autant que dans le reste de l’Union européenne). Le dispositif MPS permet la récupération automatique des diverses attestations : plusieurs spécifiques aux BTP sont déjà inclues (attestation professionnelle FNTP, retraite Pro BTP, QUALIBAT, attestations de capacité OPQIBI). Une nouvelle le sera dans quelques jours : la caisse des congés payés du bâtiment.

Interdiction de la préférence locale

La réforme des marchés publics 2016 a officiellement une mission de support à d’autres politiques publiques : achat responsable, développement durable, soutien aux PME, innovation. La jurisprudence fait aussi une « lecture plus souple » de l’utilisation des critères environnementaux et sociaux pour peu qu’ils soient en lien avec l’objet du marché, a commenté Jean Maïa. Mais une limite n’a pas encore été franchie sur la responsabilité sociétale des organisations (pour la prise en compte de la politique RSE d’une entreprise candidate à un marché public) et la préférence locale. « La directive interdit l’utilisation d’un critère RSE et je dissuade les pouvoirs adjudicateurs de le faire. On ne peut pas inscrire de préférence locale dans un cahier des charges car cela est prohibé par le droit de l’Union européenne et le Conseil constitutionnel, a-t-il posé. La limite est là. Mais en maniant les critères d’attribution et les conditions d’exécution, on peut tendre vers cela de manière plus objective »…

Pour appréhender la réforme des marchés publics à compter du 1er avril, les acheteurs publics peuvent toujours se tourner vers la cellule d’information juridique aux acheteurs publics (CIJAP) de Lyon, a rappelé le DAJ. La direction des affaires juridiques de Bercy mettra également à jour ses fiches techniques sur son site. Le cadre est prêt. Il n’y a plus qu’à !

Source : Le Moniteur