Relations entre entreprises : quand la collaboration s’avère plus pertinente que la compétition

Pourquoi faut-il privilégier la collaboration lorsque l’on est une entreprise ? Le fait que cela puisse être créateur de valeur ne suffit pas toujours à engager des changements. Un autre argument peut avoir plus de poids : les économies en termes de coûts. Car, contrairement aux a priori – qui laissent penser que la collaboration est source de complexité et de dépenses inconsidérées – les avantages pour les entreprises qui prônent cette démarche sont réels.

La compétition est source de coûts cachés

Largement justifiées par les théories « classiques » et « néo-classiques », la compétition (entre concurrents) et les relations de marché (entre client et fournisseur) sont associées à de multiples retombées positives, tant pour les acteurs directement concernés que pour la société dans son ensemble (via, notamment, le mécanisme de la « main invisible » suggéré par Adam Smith). En réalité, la compétition est source de coûts cachés. Les premiers d’entre eux sont les frais d’hétéronomie : c’est-à-dire les coûts de dépendance à autrui. Ces derniers poussent les entreprises à avoir comme référentiel les actions de leurs concurrents avérés ou potentiels – soit pour les imiter, soit au contraire pour s’en distinguer. Cette surveillance se traduit par un investissement en intelligence économique, en veille concurrentielle et plus largement pour maintenir un réseau de relations qui permet à l’entreprise de rester informée sur son environnement. Ce besoin de protection s’illustre particulièrement bien dans les secteurs de pointe où la course aux brevets, le respect des droits d’auteurs et les frais juridiques qui y sont liés constituent une part croissante du budget des entreprises. Enfin, se démarquer de ses concurrents demande aussi de plus en plus d’efforts : personnalisation des produits et des services poussés à l’extrême, politiques de qualité drastiques malgré la réduction permanente des coûts, plans marketing et campagnes de communication qui, pour certains produits de grande consommation, représentent l’essentiel des coûts de mise sur le marché… De tels coûts existent également dans les relations client-fournisseur, car vouloir contrôler ses fournisseurs, ou a minima disposer d’informations précises à leur sujet, représente un réel investissement.

Une pression de plus en plus forte

La concurrence a également d’autres effets inattendus. La mise en concurrence des individus ou des organisations les conduit à devoir constamment rendre des comptes sur leurs performances, au risque d’être évincés par leurs rivaux, qui, eux, auront su mettre en scène leur efficacité supposée. Ces coûts sont d’autant plus élevés que, aujourd’hui, il s’ajoute à la performance économique une pression à la diffusion d’informations sur les performances sociales et environnementales.

La mise en concurrence des prestataires et des fournisseurs qui devait aboutir à des gains de productivité, conduit en fin de compte à une augmentation des coûts lorsque la quantité d’informations à contrôler a tendance à augmenter. Dans un système où la compétition repose sur la transparence des performances, la réputation publique et donc sa préservation prennent une place prépondérante. Par peur du scandale ou d’une différence trop marquée, les acteurs peuvent faire le choix de l’imitation, plutôt que celui de la singularité. On arrive donc au paradoxe suivant : alors que, selon la théorie économique, la compétition est censée favoriser un maximum d’innovation, elle peut dans certains cas conduire au mimétisme généralisé. Et dans un tel contexte, on peut s’attendre à l’apparition d’un cercle vicieux : la compétition conduit à l’imitation, qui renforce à son tour la compétition, chacun luttant pour les mêmes positions.

Différents modèles possibles

Les exemples de collaboration entre entreprises sont nombreux et témoignent d’une diversité de modèles correspondant à des cultures et à des besoins différents : systèmes productifs locaux, districts industriels en Italie, clusters aux Etats-Unis, pôles de compétitivité en France… Ces structures témoignent aussi de différents degrés de collaboration.

La recrudescence des risques divers et variés, auxquels sont exposées les entreprises, joue en faveur de la collaboration. La rareté des ressources va contribuer à faire peser sur les entreprises de nouveaux risques. A l’heure où la sécurisation des approvisionnements devient une mission centrale pour les acheteurs, la collaboration avec les fournisseurs est d’autant plus essentielle.

Plus de 50 % du chiffre d’affaires consacrés aux achats

En matière de collaboration, il peut être plus aisé de commencer par se concentrer sur les fournisseurs. Ils sont, en effet, des partenaires majeurs lorsque l’on sait que les achats auprès de ces derniers représentent plus de 50 % du chiffre d’affaires des entreprises en moyenne (dans certains secteurs, le chiffre de 80 % est même régulièrement atteint, voire dépassé). Pour développer des relations efficaces avec les fournisseurs, il faut d’abord bien collaborer en interne (idéalement, les ingénieurs, les commerciaux et les acheteurs notamment doivent définir ensemble, et en tenant compte des compétences des fournisseurs, les produits qui constitueront l’offre de l’entreprise). Cet esprit collaboratif aura un autre avantage, il décloisonnera les services

Hugues Poissonnier

Professeur associé à Grenoble Ecole de Management, où il enseigne le contrôle de gestion et les achats. Il intervient également dans plusieurs universités et écoles de commerce françaises et étrangères (ESC Marrakech, Silesian International Business School…) et écoles d’ingénieurs (Ecole des Mines de Paris, INP Grenoble…). Ses travaux de recherche […]