Point de vue de Alain Godard : Entreprises : Macron fait une grosse erreur en traitant de la même manière petites et grandes

Mon dernier billet se voulait une analyse du positionnement d’Emmanuel Macron dans le jeu de l’élection présidentielle de 2017.

Les lecteurs auront compris que je ne disais pas non à priori à cette originale expérience, contrairement à beaucoup de mes amis qui se sont lancés dans la caricature.

J’avais dit dans ce billet mon regret de voir Macron ne pas vouloir regarder en face l’évolution à long terme du travail dans un contexte où l’automatisation et la robotisation vont profondément modifier la donne : affirmer péremptoirement qu’on donnera du travail à tous sans changer la manière de partager le travail et en refusant d’écouter ceux qui pensent différemment  est pour moi un point négatif : seul parmi les candidats déclarés Benoit Hamon semble prêt à la prendre en compte

Mais le problème le plus grave pour moi concernant Macron est son changement de position  sur le traitement différencié des PME par rapport aux grandes entreprises : dans une interview au JDD du 6 mars 2016, il avait pris clairement position sur l’intérêt de réserver les aides et les simplifications aux PME qui constituent le potentiel majeur de créations d’emplois : c’est ainsi qu’il  reconnaissait alors que le code du travail actuel avait été construit «  pour ceux qui occupent un CDI dans un grand groupe… » ( Lettre ouverte à Emmanuel Macron de Alain Godard, le 6 mars 2016)

Dans son livre, il semblait revenir sur cette position en laissant toutefois un peu de palce à l’interprétation, mais dans son discours de son méga-meeting de ce dimanche, il enlève tout doute à ce sujet : c’est avec une conviction sans faille qu’il affirme que tout ce qu’il veut faire pour aider les entreprises concerne les grandes ET les petites.

Pourtant, chacun sait que les grandes entreprises n’ont pas besoin d’aides qui pour la plupart constituent des aubaines dont elles bénéficient sans contrepartie : croit-on vraiment que les grandes banques vont modifier leurs plans de réduction massive du nombre d’agences bancaires parce qu’on va leur donner quelques points de réduction sur les cotisations patronales en substitution d’un CICE qui leur a été offert comme une aubaine ? Peut-on vraiment croire, alors qu’on se présente comme le chantre de la high tech que la révolution numérique qui va dans quelques années  permettre d’enregistrer et payer nos courses au supermarché sans aucune  intervention humaine ne va pas avoir d’influence sur le nombre d’emplois de caissières dans cette activité?

Et tout le reste est à l’avenant, les grandes entreprises continueront à ajuster leurs effectifs pour gagner en compétitivité, et prendre des parts de marchés sur celles plus petites qui ne pourront pas se moderniser au même rythme.

C’est donc une erreur stratégique que fait Emmanuel Macron en faisant de choix, dont on ne peut éviter de penser qu’il soit lié au fait que ses soutiens financiers majeurs proviennent … des grandes entreprises. Et c’est là un vrai problème car dans cette hypothèse , cela veut dire qu’il est passé sous leur coupe !

Mais c’est aussi une erreur tactique : le rejet du CICE, du pacte de solidarité et de la loi travail est largement dû au fait que ces mesures s’adressaient à toutes les entreprises, alors que beaucoup les auraient acceptées si elles avaient été réservées aux petites et moyennes entreprises.

C’est donc le soutien d’un nombre important d’électeurs potentiels dont se prive Emmanuel Macron en faisant ce choix : ceux qu’il doit aller chercher à gauche pour gagner bien sûr, mais aussi sans doute pas mal d’électeurs du centre voire de droite modérée, tant cette question est avant tout une mesure de bons sens.

C’est le contraire qu’il aurait fallu faire et probablement, pour permettre la mise en œuvre d’une telle politique, aller jusqu’à proposer  un  changement de Constitution pour introduire le droit de traiter différemment les entreprises en fonction de leur taille… C’est cela qu’il aurait fallu faire pour initier une véritable « révolution ».

Je me mets donc pour l’instant en retrait du projet Macron, non pas parce que sa voix a dérapé et qu’il a terminé son meeting les bras en croix, mais parce que son changement de position sur cette question des PME est pour moi une marque de dépendance vis-à-vis des tenants de la pensée économique dominante.

A suivre…

Source : Alternative Ecnomique